Le Phénomène des Couples Sans Enfant : Causes et Considérations

Ils sont en couple, touchent chacun un salaire et ont décidé de ne pas avoir d’enfants. On les appelle les « dinks » pour « Double income, no kids ». En français : double revenu, sans enfants. À l’heure où la France connaît une baisse du nombre de naissances, qui sont ces personnes qui décident de ne pas faire d’enfants? On fait le point.

L'émergence des "Dinks"

Léa et son compagnon sont ce que les Anglo-Saxons appellent les « dinks ». Un acronyme qui signifie « Dual income, no kids », soit en français « double salaire, sans enfants ». Ce terme est apparu pour la première fois au cours des années 1980, dans une Amérique touchée par une forte augmentation du coût de la vie, comme l’expliquait en 1987 le quotidien américain Los Angeles Times. Ce terme désignait alors « un « mode de vie » plus libre et plus aisé », rapporte le magazine Courrier International.

« Les couples de moins de 30 ans sans enfants, ça n’existait pas jusque dans les années 1970, on passait directement de la vie conjugale à la vie familiale », nous fait remarquer François de Singly, sociologue et professeur émérite à l’université Paris-Cité, auteur de Sociologie des familles contemporaines, réédité en 2023 aux éditions Armand Colin.

Les Raisons Derrière le Choix de Ne Pas Avoir d'Enfants

« Puisque tout le monde veut avoir des enfants, peut-être que moi aussi je finirai par en vouloir. » À l’autre bout du fil, Léa (prénom d’emprunt) réfléchit à voix haute. La jeune enseignante de 25 ans, professeure en sciences économiques et sociales (SES) dans un lycée de l’Oise, s’interroge sur la parentalité : « C’est bête, mais c’est une étape de la vie. Le travail, le couple, l’emménagement ensemble… L’enfant, c’est la suite logique. » Pourtant, elle et son conjoint de trois ans son aîné, lui aussi professeur de SES dans un lycée, ont décidé de ne pas en avoir.

« Faire un enfant est devenu un choix », analyse François de Singly. Et de poursuivre : « Certaines personnes perçoivent les enfants comme un handicap. » Au téléphone, Léa formule ses inquiétudes : « Je n’ai pas envie de porter cette charge mentale et d’être victime de sexisme ordinaire. Quand il s’agit des enfants, [que ce soit pour leur scolarité ou leur santé], on sollicite toujours les mères avant les pères. »

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Facteurs économiques et environnementaux

« Aujourd’hui, je suis prof, je sais que je ne vais pas être bien rémunérée tout au long de ma vie, assène Léa au téléphone. Je n’ai pas envie de me priver pour un enfant. » Elle enchaîne : « Mais à l’inverse, au vu du réchauffement climatique, je ne souhaite pas que mes enfants se privent à cause de notre génération. Dans un monde où les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres, je n’ai pas envie que mes enfants galèrent. »

Bien-être et stress parental

Ils peuvent aussi impacter directement la santé de leurs parents, en particulier celles de leurs mères. En 2019, selon les données collectées par une étude britannique, les mères de famille qui travaillaient à temps plein en élevant deux enfants, subissaient 40 % de stress en plus que les femmes sans enfant.

Les Critiques et les Préjugés

Malgré les arguments présentés par les dinks, les critiques à leur encontre ne manquent pas. Le plus connu de l’un de leurs détracteurs n’est autre que le célèbre milliardaire américain Elon Musk, patron de Tesla et de Space X. Le 5 décembre 2023, sur son réseau social X, il accusait « les personnes qui décident délibérément de ne pas avoir d’enfants. [Elles] font preuve d’une terrible morale : elles exigent en fait que les enfants des autres s’occupent d’elles pendant leurs vieux jours, c’est un véritable gâchis », écrivait-il alors.

« Taxés d’égoïstes, de frivoles, ou d’immatures, [les dinks] sont dépeints comme le symbole de l’individualisme », explique Business Insider, relayé par Courier International.

Les Réseaux Sociaux et la Revendication d'un Mode de Vie

Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à revendiquer et recommander ce « mode de vie » sans enfants. Les dinks pratiquent le ski, le golf, voyagent sur un coup de tête, dorment plus de huit heures par nuit… Certains parents exténués par leur vie de famille envieront peut-être leur programme.

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Aujourd’hui c’est sur les réseaux sociaux que les Dinks affichent leur bonheur. Les réseaux sociaux où les Dinks mettent en avant leur soif de liberté.

L'Absence d'Enfant Non Choisie : Une Perspective Différente

Après avoir passé des années à tenter de concevoir, après avoir subi divers cycles de PMA, réaliser qu’on ne deviendra jamais un père ou une mère est absolument déchirant. Pour la plupart des couples qui n’ont pas fait ce choix, la perspective de vivre sans enfant se révèle obsédante, éprouvante et dévastatrice.

On peut en arriver involontairement à ne pas avoir d’enfant de multiples façons : l’infertilité, le mariage avec un partenaire qui ne souhaite pas d’enfant ou une tentative trop tardive n’en sont que quelques-unes. Mais quelle que soit la raison, il est vital de reconnaître l’absence d’enfant comme une véritable perte et de se laisser le temps de faire son deuil.

Statistiques et Tendances Démographiques

Mardi 16 janvier 2024, dans le cadre d’une conférence de presse fleuve, le président de la République a demandé aux Français de « réarmer » démographiquement le pays. « On ne sait pas si c’est parce que le nombre de couples sans enfants a augmenté », prévient François de Singly. « On manque de données à ce sujet, la dernière étude date de 2011 », renchérit Magali Mazuy, démographe et sociologue à l’Institut national d’études démographiques.

La part des femmes qui demeurent sans enfant à la fin de leur vie féconde (autour de 45 ans) est de 13,5 % pour la dernière génération dont on dispose des données définitives, née entre 1961 et 1965. Un niveau quasi-identique à celui de la génération née dans les années 1930 (12,7 %). L’infécondité augmente en revanche chez les hommes.

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Selon une enquête de l’Ined de 2010, la part de la population qui ne souhaite pas avoir d’enfant demeure très faible, de l’ordre de 5 % : 4,4 % chez les femmes et 6,8 % chez les hommes.Autour de 5 % pour les moins de 25 ans, le taux diminue à 2,5 % chez les 30-34 ans et remonte à 7 % pour les 40-49 ans.

Les résultats d’une enquête réalisée par des chercheurs de l’Ined confirment une progression pour les générations plus récentes, nées dans les années 1970. Le taux d’infécondité atteindrait 15 % pour les femmes nées en 1980, soit un retour au niveau connu par les femmes nées dans les années 1920.

En France, parmi les femmes sans enfant en âge de procréer, c'est-à-dire entre 18 et 49 ans, 30% déclaraient ne pas en vouloir. La moitié d’entre elles estiment qu’un enfant n’est pas indispensable à leur épanouissement personnel et 48 % souhaitent continuer à vivre sans assumer de responsabilité parentale.

Facteurs socio-économiques et culturels

Plusieurs facteurs se conjuguent. L’allongement des scolarités, les difficultés d’insertion dans le monde du travail et les difficultés de conciliation vie professionnelle/maternité ont eu pour effet de repousser dans le temps la formation des couples, ce qui a joué sur la descendance finale (le nombre d’enfants par femme en fin de vie féconde) mais a aussi pu être un moteur de l’infécondité.

Quand on entre dans le détail, deux catégories de populations se distinguent par une forte infécondité : les femmes très qualifiées et les hommes qui le sont peu. Une sorte de « loi » de formation des couples crée ce déséquilibre.

Pour une part des couples, en particulier chez les plus diplômés, le projet d’avoir des enfants semble arriver « trop tard » du fait des normes sociales et du déclin de la fertilité avec l’âge. Le développement rapide de la procréation médicalement assistée ne permet pas de rattraper ce retard.

La remontée de la précarité du travail dans les années récentes alimente une forme d’insécurité sociale. Pour les moins qualifiés, l’insertion dans une forme de stabilité économique est de plus en plus tardive. En même temps, même si c’est beaucoup moins concret dans l’immédiat, les craintes quant à la soutenabilité de notre modèle économique et ses conséquences sur la planète sont de plus en plus présentes chez les jeunes générations. À cela s’ajoutent les craintes liées à la situation sanitaire, qui alimentent un climat global d’inquiétude.

Le Bonheur Conjugal et l'Absence d'Enfants

Rapportée par le site du magazine Le Point, une étude britannique de grande envergure (5 000 personnes suivies pendant deux ans) apporte un éclairage nouveau sur l’image que l’on pourrait avoir du bonheur conjugal. Les personnes en couple sans avoir d’enfant se sont déclarées davantage satisfaites de cette relation que les personnes étant en couple avec des enfants.

Ce qui est vrai au niveau du couple ne l’est plus sur le plan individuel. Ainsi les mères de famille en couple - moins satisfaites de leur relation - restent la frange de la population la plus heureuse. De même, les femmes en couple sans enfants - celles-là même qui se sont déclarées satisfaites et valorisées dans leur relation - se sont cependant déclarées les moins satisfaites de leur sort.

Les "SenVol": Un Choix Assumé

Être en couple et ne pas avoir d'enfant n'est pas chose courante. Seules 3,5% des personnes en couple âgées de 18 à 50 ans affirment avoir l'intention de rester sans progéniture. Comme il existerait une injonction à la conjugalité, il en existerait une à la parentalité.

Charlotte Debest, docteure en sociologie, autrice de Le Choix d'une vie sans enfant, confirme: «Dans la première mise en couple, il reste cette idée encore très prégnante de l'enfant comme révélateur de l'amour du couple.»

Néanmoins, la sociologue a tenté de dégager quelques traits communs en ne se focalisant que sur les «SenVol», les sans-enfant volontairement. Pour ce faire, elle a interviewé cinquante-et-une personnes. Conclusion: «Tout le monde n'est pas capable de questionner une norme, et de ne plus considérer le désir d'enfant comme une évidence. Le travail peut par exemple être un moyen de se distinguer.

Charlotte Debest rappelle: «Ce désir ou non d'enfant est quand même une représentation de soi dans le monde. Autre point commun à ces rebelles de la parentalité: le besoin de liberté. Cela se traduit dans leur parcours professionnel loin d'être linéaire et dans lequel on retrouve une certaine aversion pour les contraintes horaires et le poids de la hiérarchie.

Charlotte Debest a décelé trois maîtres-mots chez les femmes pour expliquer l'infécondité choisie: «autonomie, conjugalité diverse et profession»; chez les hommes: «liberté, amis, loisirs».

Dynamiques de Couple et Absence d'Enfants

Comme le rappelle Isabelle Tilmant, psychothérapeute clinicienne, autrice de Épanouie avec ou sans enfant, «la venue d'un enfant est tellement idéalisée que cela met à mal les couples. Ce n'est plus l'élément qui rapproche, mais éloigne.»

«Si le couple échoue à être un “révélateur de soi-même”, les SenVol n'hésitent pas à quitter le partenaire d'autant que l'enfant n'est pas là pour les retenir, écrit Charlotte Debest. Ils veulent les avantages du couple sans les inconvénients du quotidien.»

Leur ciment est le même que pour ceux qui ont des enfants. «Les valeurs communes, c'est ça la clé», assure Isabelle Tilmant. Émilie confie: «Avec Noémie, nous parlons énormément. Nous essayons de nous faire évoluer l'une l'autre. Elle m'apaise, moi qui ai tendance à être tout feu tout flamme et de mon côté, je lui apporte cette énergie.

Si le phénomène semble ne pas prendre d'ampleur, ce choix trouve une nouvelle motivation. D'après Charlotte Debest, les moins de 30 ans évoquent le réchauffement climatique comme raison à leur infécondité volontaire. Une nouveauté.

Les Perspectives Évoluent

Le hashtag #DINKS sur les réseau sociaux prend de l'ampleur. Les Dinks sont donc des couples, jeunes le plus souvent, sans enfant à charge et sans aucune intention d’en avoir.

Pourtant des chercheurs de l'université de l'État du Michigan ont prouvé que les adultes plus âgés qui n'ont pas d'enfant n’éprouvent pas plus de regrets que les parents plus âgés.

Selon notre sondage paru en septembre 2022, en partenariat avec l’Ifop, 30 % des femmes en âge de procréer ne veulent pas d’enfant.

Les idées reçues

Le docteur Rachel Chrastil, spécialiste de l’histoire des femmes sans enfants dans la culture occidentale et auteure de How to Be Childless : A History and Philosophy of Life Without Children, a examiné bon nombre d'hypothèses concernant les couples sans enfants, qui, en général, ne sont pas terriblement flatteuses.

1. Être sans enfant est souvent considéré comme rare et anormal.
2. On dit que « la parentalité est l’antidote à l’égoïsme.
3. Un récit commun soutient que « tout le monde » avait des enfants, jusqu’à l’avènement d’un contrôle des naissances très efficace (c.‑à‑d., la pilule) et d’une plus grande participation des femmes au marché du travail rémunéré.
4. Beaucoup de gens supposent que le fait d’avoir des enfants est le summum de l’existence, peut-être surtout parmi ceux qui trouvent l’accomplissement extraordinaire par la parentalité.

Tableau: Évolution de l'infécondité en France

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