Claude Nougaro: Biographie d'un artiste toulousain

Ce mercredi 9 septembre, Claude Nougaro aurait eu 91 ans. Le 4 mars 2004, Claude Nougaro décédait à l’âge de 74 ans des suites d’un cancer du pancréas. Seize ans déjà, le chanteur écorché vif nous a quittés, laissant derrière lui un héritage musical et poétique immense.

Hommage de sa fille, Cécile Nougaro

L’occasion de prendre des nouvelles de Cécile, sa fille aînée âgée de 58 ans, fruit de son premier mariage avec Sylvie. Cette dernière a aménagé une péniche à Toulouse en hommage à son papa. « L’idée est d'en faire un lieu de création avec une bibliothèque, une salle d'exposition, un bar, une scène, que ce soit vivant. Mon père aurait aimé ça.

La péniche « Sanctanox » - inaugurée en septembre 2019 - est située au port de l'Embouchure, à Toulouse (Haute-Garonne). Depuis le 09 septembre 2019, la péniche Sanctanox, amarrée dans le port de l’Embouchure, permet de relier à l’artiste toulousain Claude Nougaro, les visiteurs de passage. Le port de l’Embouchure se présente comme une liaison entre canal du Midi et Garonne, entre canal du Midi et Méditerranée, entre Garonne et océan Atlantique. L’eau a, de plus, une large portée poétique.

J’ai donc décidé de vendre l’appartement dans lequel papa avait écrit « C’est une Garonne », situé sur le quai de Tounis, pour ouvrir au public ce lieu, libre et joyeux. C’est une maison, et pas un musée. La date du 09 septembre, choisie il y a bientôt quatre ans pour l’inauguration de la Maison Nougaro, est on ne peut plus symbolique, puisque c’est la date d’anniversaire de papa.

Continuer l’histoire plutôt que de la figer dans le passé, c’est cela la vocation de l’association. La péniche de 90 m² et son équipage veillent à faire vivre ce qui est précieux : la création artistique. Nous recevons près de 10.500 visites individuelles par an, hors groupe. Les passagers sont invités à suivre une visite guidée d’une heure pour tisser leur lien avec le lieu.

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Pour les guides bénévoles, cela prend la forme d’une improvisation théâtrale. L’exposition temporaire, qui est accessible depuis janvier - et pour un an - évoque la vie de ma mère Sylvie, première femme de papa. Il y a une certaine récurrence dans le livre d’or de la péniche, c’est le mot « magique ». Je pense que c’est parce que nous sommes parvenus à fonder un lieu sans prétention.

Aussi simple que les rencontres de papa avec ses admirateurs. Cette simplicité de la Maison Nougaro, c’est une forme de transcendance. Quand on entre sur la péniche, on dépasse la réalité pour franchir un pas vers l’histoire de papa. Notre souhait est de rendre le lieu pérenne au-delà de nous. Ancrer la péniche dans l’histoire de la Ville rose.

En 2001, papa a posé la main sur le ventre d’une femme enceinte qui était venue le saluer à la sortie d’un concert. Depuis peu, une jeune guide a rejoint l’association. Ce n’est autre que l’enfant de la spectatrice. La création artistique poursuit donc son chemin vers les jeunes générations. Outre les expositions temporaires, la péniche accueille des événements privés les lundis, mardis et mercredis : la soirée des Ambassadeurs de la Haute-Garonne, ou encore L’École de la Deuxième Chance de Toulouse, du chef deux étoiles Thierry Marx. Ce sont des événements qui nous fortifient dans des valeurs qui ne font pas semblant. Nous mettons aussi régulièrement en place des partenariats artistiques à créer ensemble comme les tournages de Figures Libres diffusés sur Mezzo et Arte Jazz.

Une enfance toulousaine

Claude Nougaro a passé son enfance à Toulouse, entre les Minimes et Arnaud-Bernard, élevé par ses grands-parents paternels. Tourmenté par l'absence de ses parents souvent en tournée (son père était chanteur lyrique) quand il était petit, "Toulouse a longtemps incarné pour lui une forme de solitude et de mélancolie, quelque chose qui le ramenait à son enfance", rappelle Jacques Hébert, journaliste devenu ami avec le chanteur, connu pour son euphorie communicative comme ses phases dépressives profondes.

C’est dans un cadre triste et modeste que Claude passe son enfance. Il ne voit ses parents que sporadiquement. « J’ai grandi pendant la guerre dans une atmosphère empestée. Le ciel était bas. J’étais charbonneux, agressif et révolté, ce qui n’a évidemment pas facilité mes études. J’ai été élevé par des vieillards, mes grands-parents paternels, dans un quartier sinistre de Toulouse et j’ai ricoché de collège en collège. J’ai décroché de mes études vers l’âge de quinze ans. À travers la TSF de mes grands-parents, j’étais aux écoutes de cette planète lointaine qui s’appelait New York, qui s’appelait Harlem. New York, c’est la ville-phare qui a éclairé l’ombre de mon enfance.

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Des débuts artistiques variés

Il recommande son fils en tant que pigiste au « Journal des Curistes », puis au « Journal de Vichy ». Claude est tellement tatillon avec les mots qu’il met des heures à rédiger des articles que ses confrères exécutent en trois minutes. La même année, Pierre chante à Alger et le fait engager à « l’Echo d’Alger » puis à « La Dépêche de Constantine ». « Lorsque je me baladais dans les années 50 à Saint-Germain des Prés, j’étais une sorte d’égaré, le provincial total, comme je n’avais pas du tout d’argent, je lisais les vitrines et non pas les livres.

Il y avait un accent flamenco là-dedans. Audiberti deviendra son père spirituel et l’une de ses principales références poétiques. Cette passion pour le dessin ne le quittera jamais. Il devient l’ami du peintre Raymond Moretti qui signe la pochette d’un album. Dans les années 1980, Claude héberge le jeune peintre Daniel Estrade dans sa maison montmartroise.

Pierre Nougaro fréquente le Lapin Agile, le célèbre cabaret montmartrois et fait part au patron, Paulo Gérard, de son inquiétude quant à l’avenir de son fils. Paulo auditionne Claude en 1953 et l’engage dans la troupe. Claude a une présence et une puissance vocale impressionnantes. Parallèlement, il devient l’un des paroliers de Philippe Clay, Marcel Amont, Colette Renard, Yves Montand, Jean Constantin…

Deux chansons, « Le Sentier de la Guerre » et « Méphisto » écrites pour Édith Piaf sont mises en musique par Marguerite Monnot. Un jour, Claude et Michel Legrand prennent rendez-vous avec Dario Moreno pour lui proposer une chanson sur un tempo caribéen, « Le Ratacalypso’s ». Le majordome de Dario Moreno les fait pénétrer dans un salon oriental à l’épaisse moquette violette.

Après ce premier succès, Claude est appelé une nuit par Édith Piaf pour laquelle il a une véritable vénération. Claude, très honoré par cet appel nocturne, espère que l’immense interprète va lui demander d’écrire pour elle. Il arrive dans un appartement vide, meublé d’un seul canapé où se tenaient Piaf, Théo Sarapo et une petite bande de courtisans. Elle lui fait écouter une chanson pour laquelle elle cherche une chute. « Mon chauffeur va vous raccompagner.

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Le succès et les épreuves

« Quel con, ce mec ! Il faut que je réécoute son disque ! Mais le 9 juin 1963 en pleine tournée, un accident de voiture près de Roanne le cloue au lit pendant plusieurs mois. Il est désormais accompagné par l’élite des jazzmen français, le pianiste Maurice Vander, l’organiste Eddy Louiss, le contrebassiste Luigi Trussardi, le batteur René Nan.

À partir de 1970 et jusqu’à son décès en 2004, Claude enchaîne les albums et les tournées. Au-delà du jazz, il invite dans ses spectacles tous les genres musicaux : classique (Quatuor Lara, Fred Freed), brésilien (Baden Powell, Tania Maria, les Etoiles, Teca et Ricardo), africain (Youla Fodé, Ray Lema, James Campbell).

Trois spectacles marquants

• En 1984, l’album « Bleu, Blanc, Blues » est suivi d’une tournée de plus de 300 concerts avec le trio Vander, Michelot, Lubat. Maurice Vander disait qu’il n’y avait que Claude qui pouvait chanter avec un trio de jazz, à part les Américains comme Sarah Vaughan. Durant le spectacle, Claude laisse le trio seul en scène interpréter quelques classiques du jazz, ce qui ajoute une respiration stimulante.
• En 1991, l’album « Une voix, dix doigts » réunit Claude accompagné seulement par Maurice Vander au piano. Le succès est tel que Jean-Pierre Brun, son agent, signe plus de 200 concerts.
• En 2002, ce sera le spectacle donné à Paris aux Bouffes du Nord, où Claude dit ses poèmes sans aucun apport musical.

Reconnaissance et hommages

- Les deux « Victoires de la Musique » à son retour de New York en 1988 pour « l’album Nougayork » et pour « le meilleur interprète masculin ».

- Le 23 mars 1991, Claude reçoit la Légion d’honneur à Toulouse des mains du Maire, Dominique Baudis. À la Mairie, salle des Illustres, Armand Biancheri, Inspecteur général de l’Instruction Publique et ami proche prononce le discours d’intronisation. C’est au tour de Claude de répondre. Incapable de continuer, Claude s’écroule en sanglots à l’évocation de son grand-père.

Les dernières années

Il faudra attendre les années 1980, sa rencontre avec Hélène sa quatrième épouse, la seule Toulousaine, pour qu'il fasse la paix avec ses vieux démons : ses excès notoires la nuit, ses liens desserrés avec ses quatre enfants, et sa relation contrariée avec Toulouse. Ensemble, ils achètent un appartement quai de Tounis, vont au marché des Carmes ou à Victor-Hugo, profitent de la terrasse du Café des artistes à la Daurade. C'est Dominique Baudis qui les marie au Capitole en 1994.

Ses parents possèdent une maison aux Portes-en-Ré où il vient se ressourcer. Il s’éteint dans son appartement, rue Saint-Julien-le-Pauvre. Un miroir installé sur la fenêtre de son bureau lui permettait d’apercevoir Notre-Dame. Privilège rare, c’est dans sa cathédrale de prédilection, pleine à craquer, que s’est déroulé le service funèbre le 8 mars.

À la fin de la cérémonie, un orchestre dirigé par Yvan Cassar interprète « Toulouse » sous les applaudissements de personnalités, d’amis et d’inconnus. Une seconde cérémonie a lieu le 10 mars à la Basilique Saint-Sernin en présence de plus de dix-mille personnes. Cette fois, l’œuvre « Toulouse » est dirigée par Michel Plasson.

Après sa disparition, de nombreuses villes françaises ont décidé de lui rendre hommage en donnant son nom à des écoles, collèges et lycées, des rues, des salles de spectacles. Inauguration de la Place Claude Nougaro le 28 novembre 2019 à Paris XVIIIe.

L'héritage familial

Cécile, Fanny, Théa et Pablo gèrent avec Hélène Nougaro le patrimoine artistique de leur père et mari. Cécile a créé à Toulouse « La Maison Nougaro », inaugurée le 9 septembre 2019, et y organise des expositions et des concerts. Fanny a créé le site officiel « claudenougaro.fr » et gère « Nougaro Éditions » qui regroupent les deux derniers albums et de nombreux inédits.

Les lieux de mémoire à Toulouse

Les funérailles de Nougaro a Toulouse La réconciliation Prophète en son pays, rarement un homme aura été tant aimé dans sa ville. Il suffit de revoir sa performance épique au carnaval de Toulouse en 1987 sur le toit du Capitole puis descendant en nacelle au camion-sono au-dessus d'une foule en délire et les quelque 10.000 Toulousains venus se recueillir devant la basilique Saint-Sernin lors de ses obsèques en 2004. Claude Nougaro était Toulouse, et Toulouse est Claude Nougaro.

En 2007, avec l'accord d'Hélène Nougaro, une photo XXL (9x6 mètres) du poète est placardée sur un mur de la rue Pargaminières, près de la place Saint-Pierre. L'œuvre a été rafraichie pour le 20ème anniversaire et fera l'objet d'une cérémonie institutionnelle le 7 mars prochain, en présence de la veuve de l'artiste. Depuis 2014, il y a aussi cette statue quasiment à l'échelle, en bronze, square de Gaulle, derrière le Capitole.

Enfin, la Maison Nougaro a fini par voir le jour en 2019 aux Ponts-Jumeaux sur une péniche, à l'initiative de Cécile Nougaro, la fille aînée. Mais la structure connait et a connu des déboires financiers. Elle abrite une collection modeste dans un tout petit espace et sa fréquentation reste confidentielle, avec moins de 2.000 visiteurs par an. À titre de comparaison, l'Espace muséal Georges Brassens à Sète, géré par la mairie, accueille 50.000 personnes chaque année.

Par ailleurs, à Toulouse, le métro des Minimes sur la ligne B inauguré en 2007 porte le nom Claude-Nougaro, tout comme l'école et le collège des Minimes (depuis respectivement 2011 et 2006). Une salle de spectacles, la salle Nougaro aux Sept-Deniers, a aussi été baptisée du nom du chanteur de son vivant en 1985, elle appartient au comité d'entreprise d'Airbus. La grande affiche de la rue Pargaminières a été rafraichie, 17 ans après son installation.

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