Nicolas Bessone : Parcours et Défis du Nouveau Procureur de la République de Marseille

Nicolas Bessone, à 57 ans, est le nouveau procureur de la République de Marseille. Sa nomination a été validée par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Un Magistrat Expérimenté Connaissant Marseille

Nicolas Bessone a déjà occupé de nombreux postes dans l’institution juridique française et connaît bien Marseille. De 2004 à 2008, il était dans la cité phocéenne, vice-procureur de la République. Durant ces années, il a pu participer à une formation « Anti-mafia » dans la ville de Palerme. Il est parti en 2008, de Marseille pour rejoindre la ville de Toulon en tant que procureur adjoint, où il y restera 6 ans, avant de rejoindre l’île de beauté en 2014. Nicolas Bessone restera à Bastia jusqu’en 2017, année durant laquelle il partira à Orléans pour y être procureur.

Arrivée à Marseille dans un Contexte Difficile

A 57 ans, le nouveau procureur de la République de Marseille arrive en terrain miné. Miné par les "narchomicides" qui ont produit près de 50 morts, 80 fusillades et plus de 110 blessés en un an.

Stratégies et Moyens Accrus

Nicolas Bessone : J’arrive avec un état d’esprit combatif mais la situation est grave. On n’a jamais atteint un niveau de règlements de comptes de cette nature à Marseille, et pourtant, pour les plus anciens d’entre nous, on peut se rappeler les grandes années 1992-1993 et la reprise de la discothèque "Le Rétro 25". Historiquement, il y avait eu vingt-cinq règlements de comptes liés à cette simple reprise. Même si Marseille a malheureusement toujours été une ville violente, une ville qui a connu la criminalité organisée, cela questionne. Il faut donc faire preuve d’un grand volontarisme, mais également d’une grande modestie.

J’ai des moyens : 56 magistrats du parquet contre 35 il y a dix ans, et 27 juges d’instruction contre 17 en 2005. On va essayer de mettre en place avec les magistrats et la police judiciaire des stratégies pour contenir, voire commencer à réduire le phénomène. Les efforts ont aussi été portés sur la sixième chambre correctionnelle, et la septième chambre, qui est la chambre de lutte contre la criminalité organisée. Une de mes volontés est aussi, chaque fois qu’on le pourra, de déceler les circuits de blanchiment pour récupérer les avoirs criminels et affaiblir durablement les organisations criminelles.

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Idées Novatrices et Réformes Envisagées

Ce sont des idées que je lance qui imposeront des modifications législatives. Si nous voulons développer le recours aux "collaborateurs de justice", il faut naturellement qu’il y ait une évolution législative. Et il faudra notamment ouvrir ce statut par le haut, c’est-à-dire à ceux qui ont du sang sur les mains, n’ayons pas peur des mots, les personnes qui sont poursuivies pour assassinat, tentative ou commandite, ce qui n’est pas pour l’instant autorisé. Mais aussi développer ce statut pour d’autres, notamment avec les "nourrices" (NDLR : celles et ceux qui gardent l’argent ou les stups du réseau), qui voient plein de choses, qui ne parlent pas à cause de la peur et des pressions qu’elles subissent dans le cadre de la cité. Pourquoi ne pas leur faire bénéficier du statut de « collaborateur allégé »? Elle parle, vous lui faites une application de peine réduite, vous la sortez de la cité, et naturellement vous avez recours à un accompagnement social pour lui trouver un emploi.

On peut aussi se poser la question de l’adéquation d’une cour d’assises composée de jurés populaires pour juger les assassinats en bande organisée. Non pas que les jurés ne soient pas capables de comprendre une preuve complexe (facturation détaillée, géolocalisation…), mais c’est le climat qui règne dans ces cours d’assises avec souvent des pressions et des menaces qui questionne. C’est compliqué pour les jurés de s’engager dans ce type de procédures.

Exactement. On est plusieurs magistrats à le dire. Quand on voit l’évolution de ces narcotrafics ou de ces "narchomicides", par certains côtés, cela ressemble pour beaucoup à des actes terroristes. Qui imaginerait aujourd’hui de faire juger des terroristes par une cour d’assises composée de jurés populaires ? C’est une autre idée. On doit être ferme dans la répression.

Priorité aux Victimes et Lutte Contre la Traite des Êtres Humains

J’ai aussi proposé d’ouvrir des enquêtes sur le fondement juridique de la « traite des êtres humains ». Car nos jeunes "charbonneurs" (vendeurs) sont naturellement des auteurs d’infractions pénales, mais ils sont également des victimes, quand on voit le traitement qu’ils subissent de la part des réseaux. Avec les tortures pour vingt euros volés pour s’acheter un sandwich, ils deviennent un peu la chair à canon du trafic. On a encore eu récemment un jeune homme sérieusement blessé, avec un simulacre d’exécution, puisqu’il a été aspergé d’essence et retrouvé à moitié nu dans les collines derrière Marseille.

Oui, je le dis, il convient à mon sens de ne pas faire de hiérarchie entre les victimes. Il y a à l’évidence des victimes innocentes, qui n’ont rien à voir avec le trafic. Je pense à la jeune Socayna (NDLR : l’étudiante de 24 ans tuée dans sa chambre de la cité Saint-Thys, en septembre dernier), c’est insupportable, c’est inadmissible et nous travaillons d’arrache-pied avec la PJ pour élucider ce crime, car on a atteint le summum de l’abjection. Mais je veux évoquer aussi le cas de ce jeune Savoyard de 16 ans, récupéré le 13 novembre à 18 heures, à la gare Saint-Charles, conduit sur un point de deal à la Bricarde, et assassiné quatre heures plus tard. Il avait été recruté sur les réseaux sociaux. C’est ce qu’on appelle un "jobeur". Bien sûr, il reste une victime complète et à part entière… Quant à la jeune Toulonnaise qui a été tuée à Marseille deux jours plus tôt, si elle est coupable de quelque chose, c’est de ses mauvaises fréquentations. Elle avait pour seul tort de fréquenter un type qui était dans le trafic. C’est elle qui conduisait. Quand on dit « Tant qu’ils se tuent entre eux… », cela permet à la société de détourner le regard, alors que je pense que c’est un problème collectif que nous devons tous prendre en charge.

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Engagement Fort Contre les Équipes Criminelles

La situation reste fragile. Ces équipes, munies de kalachnikovs, ont une logique qui est de semer la terreur. Elles ne vont pas forcément essayer de taper à la tête de l’organisation rivale. Elles vont, pour prendre le point de deal, le rafaler. Tout cela est spectaculaire. Depuis cet automne, nous avons chaque semaine, avec les magistrats instructeurs et la police judiciaire, séquencé de grosses vagues d’interpellations, que ce soit pour atteindre les auteurs dans le cadre des assassinats et tentatives d’assassinats qui visent les équipes Yoda et DZ Mafia, mais on a tapé aussi sur les stups. C’est un travail de longue haleine.

Autres Priorités en Termes de Politique Pénale

Je suis le procureur de Marseille, je ne suis pas que le procureur de la Jirs (Juridiction interrégionale spécialisée). Il n’est pas question d’abandonner la Corse ni les affaires corses, alors qu’on commence à avoir des résultats, à marquer des points. Il faut qu’on prenne des affaires à Nice, à Perpignan, à Montpellier. Il faut qu’on continue à développer nos relations avec nos collègues espagnols et italiens. Je ne suis pas que le procureur du grand banditisme. Mais à Marseille, on cumule tout. J’ai également une délinquance de voie publique, la petite délinquance du quotidien, qui peut être violente. On a également des actions à mettre en œuvre en concertation avec la préfète de police, notamment avec un « plan centre-ville » qui me paraît pertinent, avec des réponses judiciaires adaptées sur les ventes à la sauvette.

Par ailleurs, il est de mon devoir d’appliquer les directives du politique. Les circulaires du garde des Sceaux s’imposent à nous, notamment avec la protection des femmes dans le cadre des violences intra-familiales et des mineurs. Là aussi, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Ma section a été renforcée, elle est composée de douze magistrats. Nous devons éviter les drames et protéger les plus vulnérables. Enfin, la dernière priorité est la poursuite des infractions économiques et financières, des atteintes à la probité, et des atteintes à l’environnement. Vaste programme !

Ce que je souhaite aussi, c’est mettre en place des synergies supplémentaires entre la criminalité organisée et la délinquance économique et financière, à l’instar de ce que font nos voisins italiens, ils appellent cela le « doppio binario », le « double quai », en ouvrant une enquête à la fois pour association de malfaiteurs, mais en même temps pour blanchiment. Mais pour cela, j’ai besoin d’une police judiciaire qui adhère à mes préconisations et donne des moyens. Je serai attentif à la réforme.

Réforme de la Police Judiciaire

La réforme est effectivement passée. Il ressort du décret d’application que les magistrats conserveront la liberté de choix du service d’enquête. En revanche, le fait que le chef de la filière PJ soit soumis à un directeur départemental de la police nationale (DDPN), ce qui n’était pas le cas jusque-là, puisque la PJ était totalement autonome, peut poser question. Notamment dans la gestion des affaires économiques et financières. Il conviendra d’être vigilant. Il faut naturellement garantir la totale autonomie de la PJ dans la gestion des affaires sensibles, ce qui a fait la grandeur de l’institution. Je dirais donc, en résumé : optimisme raisonné et vigilance…

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Indépendance du Parquet

En disant notamment, que, même si les magistrats du parquet sont là pour appliquer les directives de politique pénale, «le ministre de la Justice n’est pas pour autant leur chef ». Faut-il y voir une manifestation d’indépendance du parquet ?

La réforme constitutionnelle de 2013 a mis fin à toutes les instructions individuelles dans les dossiers. Dans l’exercice de l’action publique, dans les dossiers individuels, le garde des Sceaux n’est pas le chef des parquetiers de Marseille. Nous devons agir en toute intendance et en toute impartialité. En revanche, il est évident que le garde des Sceaux, par l’intermédiaire des procureurs généraux, est tout à fait légitime à donner des circulaires de politique pénale sur des champs infractionnels pour éviter qu’à Dunkerque la politique pénale soit différente de celle de Marseille en fonction de la sensibilité de chacun.

Collaboration et Préoccupations Locales

Oui, les premiers contacts que j’ai eus avec elle sont excellents. J’apprécie son volontarisme, son dynamisme, dans le respect des compétences de chacun.

J’espère vraiment que l’OM va rester une fête. Que le sport reste le sport. Et je ne souhaite pas que l’OM devienne un sujet judiciaire. Après le match OM-OL, le match annulé, et la blessure de Fabio Grosso, j’étais au stade avec madame la préfète de police, nous avons fait le tour du dispositif, je lui ai montré comment on faisait en judiciaire, elle m’a montré comment elle gérait l’ordre public. On veut se comprendre. Nous avons les mêmes objectifs.

Plan « Action Centre-Ville » et Cité Judiciaire

La préfète de la police a mené sur le sujet une réflexion pour faire un plan « action centre-ville » qu’elle va mettre en œuvre très rapidement. Dans le cadre de la concertation avec l’autorité judiciaire, elle me l’a soumis et j’ai regardé comment je pouvais l’accompagner, le potentialiser par des mesures judiciaires un peu plus fortes, pour les rodéos, pour le trafic de stups en centre-ville, pour les ventes à la sauvette, pour rétablir du vivre-ensemble dans ces secteurs.

Un choix politique a été fait de positionner la cité judiciaire à Euroméditerranée. Nous sommes actuellement éclatés sur sept sites. Nous avons besoin d’un nouveau palais de justice sur un site unique. La communauté judiciaire marseillaise est ravie de cette annonce qui a été faite par le garde des Sceaux.

Pour faire vivre le collectif du tribunal judiciaire de Marseille, on a aujourd’hui de plus en plus de scissions entre le civil et le pénal qui ne se voient plus. C’est compliqué pour tous les professionnels, magistrats, greffiers, avocats. Le fait de regrouper l’ensemble des services du tribunal sur un seul et même site ne pourra qu’améliorer le fonctionnement. Ces différents sites judiciaires sont inadaptés. Ce n’est la faute à personne. On est dans le rafistolage et dans le bricolage. Je pense aussi qu’il faudra qu’il y ait des mesures d’accompagnement pour les avocats et des mesures pour ne pas dévitaliser le centre, comme celles qu’a évoquées le garde des Sceaux, telles que la mise en place d’une antenne de l’école de la magistrature ou de l’école des greffes.

Attachement à Marseille

Je suis marseillais et quand on est marseillais, on le reste toute sa vie. C’est une ville tellement forte à laquelle on reste attaché. Oui, je suis inquiet de ce que devient cette ville et j’aimerais simplement, à mon modeste niveau, lui rendre un peu tout ce qu’elle m’a donné.

Parcours Professionnel Antérieur

Après un tour de France des tribunaux judiciaires, de Strasbourg à Orléans en passant par Bastia, le procureur Nicolas Bessone a pris cet été la tête de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), laquelle affiche des chiffres records (V. dans ce numéro, JCP G 2020, prat. Il résume en quelques mots chacune des grandes étapes de sa carrière aux quatre coins du pays, de Strasbourg, en tant que substituten1994, à Orléans, comme procureur de la République de 2017 à 2020.

Bastia est alors le seul pôle économique et financier du pays après lacération en 2013 du parquet national financier. « Il faut faire preuve de volontarisme pour engager une sorte de cercle vertueux, prône-t-il. J’ai toujours été convaincu quelles affaires appellent les affaires ».

Plus tôt, à Marseille, de 2004 à 2008, avant d’être nommé procureur adjoint à Toulon Pour six ans, il participe avec Charles Duchaine, - son prédécesseur à la direction de l’Agrasc (V. JCP G 2017, act. 2) - à la création de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS).

Affaires Marquantes en Corse

1. Paul Giacobbi et l'affaire des gîtes: L'ex-président de cette collectivité, Paul Giacobbi, a été condamné définitivement à trois ans de prison avec sursis, cinq ans d'inéligibilité et 25 000 euros d'amende.
2. L'échec du dossier Corssad: Bernard Giammari et son épouse ont été relaxés par la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans l'affaire de la gestion de la Corssad, un centre d'aide à la personne parmi les plus importants de Corse.
3. La villa du sénateur Castelli: Joseph Castelli, sénateur de Haute-Corse entre 2014 et 2020, a finalement été condamné à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, par la cour d'appel de Bastia pour "corruption passive."
4. La rixe de Sisco: À laquelle "on a voulu faire jouer un rôle d'exutoire des fractures de la société française et que la justice, qui n'est pas là pour faire de la politique, a ramené à de plus justes proportions : celle d'une violente rixe sur une plage qui a entraîné des réactions disproportionnées," avait expliqué dans nos colonnes, Nicolas Bessone.

Les confiscations initiées par Bessone rapportent à l'État

Pour 2022, 200 millions d'euros vont atterrir directement dans les caisses de Bercy par ce biais. En 2021, c'était 150 millions d'euros.

Dominique Laurens a vu la violence monter d'un cran

Depuis le début de l'année, 42 personnes ont été tuées et 109 blessées dans des homicides ou tentatives d'homicides en lien avec la guerre de territoire auquel se livrent les trafiquants de drogue à Marseille.

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